Pour ou contre la suppression du 8 mai férié ?

par | Oct 5, 2025 | Ressources scolaires | 0 commentaires

Face à la nécessité de redresser les comptes publics, une proposition gouvernementale a ravivé une question sensible : la suppression de jours fériés, notamment le 8-Mai et le lundi de Pâques. L’objectif affiché est purement économique, visant à générer des recettes supplémentaires par l’ajout de jours travaillés. Cette annonce a immédiatement déclenché un vif débat au sein de la société française, opposant la logique budgétaire à la force symbolique d’une date qui commémore la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Entre pragmatisme économique et devoir de mémoire, la question de l’avenir du 8-Mai comme jour chômé se pose avec acuité.

Contexte historique du 8-Mai : une date commémorative essentielle

Avant d’aborder les enjeux économiques ou sociaux, il est fondamental de rappeler ce que représente le 8 mai 1945. Cette date n’est pas un jour de repos anodin dans le calendrier français. Elle marque un événement fondateur de notre histoire contemporaine, la fin d’un conflit dévastateur sur le sol européen et la victoire des forces alliées sur l’Allemagne nazie. Sa portée historique et symbolique est immense, mais son statut de jour férié a connu un parcours pour le moins mouvementé.

La capitulation du IIIe Reich

Le 8 mai 1945 officialise la fin des combats en Europe. La veille, le 7 mai à 2h41 du matin, l’acte de capitulation militaire sans condition de toutes les forces allemandes est signé à Reims. La cessation des hostilités est fixée au 8 mai à 23h01. Pour sceller cet événement, une seconde signature a lieu à Berlin le 8 mai au soir. Cette date symbolise la défaite d’une idéologie totalitaire et le retour de la paix sur le continent, même si la guerre se poursuivait encore dans le Pacifique. C’est donc la libération de l’Europe du joug nazi qui est célébrée ce jour-là.

Une commémoration au parcours sinueux

Le statut du 8-Mai comme jour férié n’a pas toujours été une évidence. Il a été institué jour férié par une loi en 1946, avant d’être supprimé en 1959. Le général de Gaulle préférait alors mettre l’accent sur la réconciliation franco-allemande et instaura une simple commémoration sans jour chômé. Il faudra attendre 1981 et une loi portée par le président François Mitterrand pour que le 8-Mai redevienne définitivement un jour férié et chômé, réaffirmant ainsi son importance dans la mémoire nationale. Ce parcours témoigne des tensions politiques et mémorielles qui ont toujours entouré cette date.

Comprendre le poids de cette histoire est crucial pour analyser la proposition de sa suppression, qui est avant tout motivée par des considérations d’ordre financier.

L’impact économique de la suppression d’un férié : mythe ou réalité ?

L’argument principal en faveur de la suppression du 8-Mai est économique. Un jour férié en moins signifierait un jour de travail en plus, et donc, une augmentation de la production de richesse nationale, mesurée par le produit intérieur brut (PIB). Si le calcul semble simple en apparence, la réalité est plus complexe et mérite d’être nuancée.

Le calcul du gain de productivité

Les économistes estiment qu’un jour travaillé supplémentaire pourrait augmenter le PIB annuel d’environ 0,4 %. Cela représente une somme considérable qui viendrait abonder les caisses de l’État et réduire le déficit. Le raisonnement est basé sur une division simple de la richesse produite annuellement par le nombre de jours ouvrés. Cependant, cette approche macroéconomique ne tient pas compte des spécificités sectorielles ni des comportements des consommateurs.

Indicateur Estimation de l’impact d’un jour férié en moins
Croissance du PIB +0,3 % à +0,5 % sur l’année
Valeur ajoutée brute Plusieurs milliards d’euros
Recettes fiscales et sociales Augmentation proportionnelle à l’activité

Les effets pervers et les nuances

La suppression d’un jour férié n’est pas sans conséquences négatives pour certains pans de l’économie. Les secteurs du tourisme, de la restauration, des loisirs et de la culture bénéficient largement des week-ends prolongés. Un jour férié, surtout lorsqu’il est placé un vendredi ou un lundi, encourage les courts séjours et les dépenses associées. Sa suppression entraînerait un manque à gagner direct pour ces industries. De plus, il faut considérer l’impact sur le bien-être des salariés. Une pause dans le rythme de travail est souvent synonyme de meilleure productivité et d’une diminution du stress, des facteurs plus difficiles à quantifier mais bien réels.

Cette analyse économique, bien qu’essentielle, ne peut être la seule grille de lecture. Il convient de la mettre en perspective avec les pratiques de nos voisins européens.

Comparaison avec les jours fériés dans d’autres pays européens

L’idée que la France serait une championne des jours fériés est une idée reçue tenace. Une comparaison avec les autres pays de l’Union européenne permet de relativiser cette affirmation et de constater une grande diversité de situations, rendant toute conclusion hâtive délicate.

La France dans la moyenne européenne

Avec ses 11 jours fériés nationaux, la France se situe dans la moyenne européenne. Certains pays en ont davantage, d’autres moins. Il est donc difficile de justifier la suppression d’un jour férié sur la seule base d’un prétendu excès français. Le débat se focalise souvent sur l’Allemagne, présentée comme un modèle de rigueur, mais la réalité y est plus complexe.

Pays Nombre de jours fériés nationaux ou quasi-généraux
France 11
Allemagne 9 (fédéraux) + jours spécifiques aux Länder
Italie 12
Espagne 8 (nationaux) + jours régionaux et locaux
Royaume-Uni 8 (en Angleterre et au Pays de Galles)

Des systèmes différents et des réalités locales

La comparaison brute du nombre de jours fériés est trompeuse. Des pays comme l’Allemagne ou l’Espagne ont un système fédéral ou décentralisé qui accorde des jours fériés supplémentaires à certaines régions (Länder ou communautés autonomes). Ainsi, un Bavarois peut avoir jusqu’à 13 jours fériés par an. Le nombre de jours de congés payés légaux varie également d’un pays à l’autre, ce qui complexifie encore la comparaison du temps de travail global. La France n’apparaît donc pas comme une exception en Europe.

Au-delà des chiffres, la nature des jours fériés est aussi un élément central du débat, nous ramenant à la dimension symbolique et mémorielle de la commémoration du 8-Mai.

Symbolique et mémoire collective : le poids du 8-Mai en France

Réduire le 8-Mai à un simple coût économique serait ignorer sa charge symbolique et son rôle dans la construction de la mémoire collective française et européenne. C’est un jour dédié au souvenir des sacrifices consentis pour la liberté et à la célébration de la paix retrouvée.

Un devoir de mémoire intergénérationnel

Le 8-Mai est l’une des rares occasions de l’année où la nation se rassemble pour se souvenir. Les cérémonies organisées dans chaque commune de France sont un vecteur de transmission essentiel. Elles permettent :

  • De rendre hommage aux combattants et aux victimes de la Seconde Guerre mondiale.
  • D’éduquer les plus jeunes générations sur les horreurs de la guerre et la valeur de la paix.
  • De maintenir un lien vivant avec les derniers témoins de cette période.

Supprimer ce jour férié risquerait de banaliser la commémoration et de la diluer dans le quotidien, affaiblissant ainsi ce nécessaire devoir de mémoire.

La célébration de la paix et de la construction européenne

Commémorer la victoire de 1945, ce n’est pas seulement célébrer un fait d’armes. C’est surtout célébrer ce qui a suivi : la plus longue période de paix que l’Europe ait connue. Cette date marque le point de départ de la réconciliation, notamment franco-allemande, et du projet de construction européenne, né précisément sur les cendres de ce conflit. Le 8-Mai est donc un symbole puissant des valeurs de paix, de liberté et de démocratie qui fondent l’Union européenne. Y renoncer pourrait être interprété comme un affaiblissement de l’attachement à ce projet commun.

Si l’effort budgétaire est une nécessité reconnue, la suppression d’un symbole aussi fort pousse à s’interroger sur l’existence d’autres leviers d’action.

Alternatives à la suppression : quelles autres solutions pour le budget ?

La proposition de supprimer un jour férié pour des raisons budgétaires, bien que compréhensible dans sa logique comptable, n’est pas la seule option sur la table. D’autres pistes, touchant à la fiscalité ou à l’organisation du travail, sont régulièrement évoquées dans le débat public pour trouver les ressources nécessaires sans sacrifier un héritage mémoriel.

La piste de la fiscalité

Plutôt que de demander un effort uniforme à tous les travailleurs en supprimant un jour de repos, certains acteurs politiques et économiques suggèrent de cibler la contribution là où les capacités sont les plus grandes. L’une des propositions récurrentes est la mise en place d’une taxe exceptionnelle sur les plus grandes fortunes ou sur les superprofits de certaines entreprises. Cette approche, bien que politiquement sensible, permettrait de générer des revenus significatifs pour l’État tout en préservant le calendrier des jours fériés et les symboles qui y sont attachés.

Réformer sans supprimer : le cas de la Journée de solidarité

La France a déjà expérimenté une solution intermédiaire avec la création de la Journée de solidarité en 2004. Initialement fixée au lundi de Pentecôte, qui a alors perdu son statut de jour chômé, cette journée de travail non rémunérée est destinée à financer l’autonomie des personnes âgées et handicapées. On pourrait imaginer un mécanisme similaire, où le 8-Mai resterait une journée de commémoration mais dont la valeur du travail accompli serait affectée à une grande cause nationale, comme le remboursement de la dette. Cette solution permettrait de concilier effort économique et maintien du symbole.

Ces alternatives montrent que le choix n’est pas binaire. La décision finale dépendra de la vision que la société porte sur son histoire, son travail et sa solidarité, un débat qui anime aujourd’hui l’ensemble des citoyens.

Le débat public : voix des citoyens et perspectives d’avenir

La question de l’avenir du 8-Mai férié a quitté le seul cercle des experts économiques et des responsables politiques pour devenir un véritable sujet de société. Les opinions sont partagées, reflétant des sensibilités et des priorités différentes au sein de la population, et interrogent plus largement sur la place des rituels nationaux dans la France du XXIe siècle.

Des opinions politiques et citoyennes partagées

Le débat traverse les familles politiques et les catégories sociales. D’un côté, les partisans de la suppression mettent en avant le pragmatisme, l’alignement sur une économie mondialisée et la nécessité d’un effort collectif pour redresser les finances. De l’autre, les défenseurs du statu quo insistent sur le respect de l’histoire, le besoin de moments de cohésion nationale et le refus de voir le temps social entièrement dicté par la logique économique. Les associations d’anciens combattants, en particulier, sont fermement opposées à ce qui serait perçu comme un abandon mémoriel.

Quel avenir pour les commémorations nationales ?

Au-delà du seul 8-Mai, ce débat pose la question de la pertinence et de la forme des commémorations dans une société en pleine mutation. Comment continuer à faire vivre la mémoire des grands événements historiques auprès de générations qui en sont de plus en plus éloignées ? Le maintien d’un jour férié est-il la seule manière de garantir une commémoration digne et visible ? Ou faut-il inventer de nouvelles formes de rituels civiques, plus en phase avec notre époque ? La réponse à ces questions dessinera le visage de la mémoire collective de demain.

Le débat sur la suppression du 8-Mai férié cristallise une tension fondamentale entre la rationalité économique et la nécessité symbolique. D’un côté, l’argument d’un gain de productivité pour assainir les finances publiques est tangible. De l’autre, le poids de l’histoire, le devoir de mémoire envers ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté et la célébration de la paix constituent un héritage immatériel d’une valeur inestimable. La décision qui sera prise révélera en profondeur le système de valeurs d’une nation et sa manière d’arbitrer entre son budget et son histoire.